vendredi 12 mars 2021

Rencontre avec un ogre déguisé en prince charmant...

 



Une femme devient écrivain à 48 ans pour raconter comment elle a été dans sa jeunesse sous emprise d’un homme plus âgé, et comment cette histoire a laissé des stigmates sur toute sa vie. 

Elle avait 14 ans et lui, un célèbre écrivain, 36 ans de plus.  Elle relate comment sa mère, son entourage, n’ont pas voulu/pu la protéger de cette relation amoureuse avec cet « ogre », comme elle le nomme aujourd’hui.  


Les mots de Vanessa Springora dans « Le Consentement » paru en 2020 m’ont semblé tellement justes, que j’ai eu envie de partager sur ce blog certains passages qui parleront à celles/ceux qui connaissent ou ont connu l’emprise. 


Mettre en mots l’indicible permet de pouvoir prendre du recul et se détacher de la situation.


Dans une approche systémique, Vanessa Springora nous présente d’abord le contexte : son enfance au milieu du conflit de ses parents, son père absent, sa mère peu protectrice ; et elle dessine peu à peu le cadre qui fait d’elle « la proie » :


« Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies. » p 33


Quand l’écrivain la séduit, elle consent : "Grâce à lui je ne suis plus la petite fille seule qui attend son papa au restaurant. Grâce à lui, j’existe enfin. » p 88


L’emprise se met en place. 

« Je ne sais pas ce qu’est une personne pour qui l’autre n’existe pas » p 133


Elle met en lumière quelques mécanismes à l’oeuvre : 

  • La dépossession "Il existe de nombreuses manières de ravir une personne à elle-même. Certaines semblent au départ bien innocentes" p 81
  • L’instrumentalisation des faits et de l’autre

« Chaque épisode de sa vie est instrumentalisé » p 106


  • La violence morale 

« Je pense encore qu’il n’y a de violence que physique. Et il manie le verbe comme on manie l’’épée. D’une simple formule, il peut me donner l’estocade et m’achever » p 133



Le prince charmant n’est pas charmant. C’est un ogre qui la blesse, l’humilie, la réifie. Deux ans plus tard, la jeune fille commence à pouvoir ouvrir les yeux et sortir de l’emprise : elle nomme ce chapitre " La déprise ".


« Je suis assez grande pour entrevoir l’imposture de la situation » p 133

« Je ne suis plus dupe de son jeu » p 134


« Il tente de brouiller les pistes, d’égarer ce sixième sens qui me permet de plus en plus souvent de détecter ses mensonges. J’ai découvert peu à peu l’étendue de son talent de manipulateur, la montagne d’affabulations qu’il est capable de dresser entre lui et moi. C’est un stratège exceptionnel, un calculateur de chaque instant. Toute son intelligence est tournée vers la satisfaction de ses désirs. » p 146


Elle quitte l’homme et essaie de retrouver le cours de sa propre vie. Mais le vécu douloureux a laissé une « empreinte « .


« Je me sens comme une poupée sans désir, qui ignore comment fonctionne son propre corps, qui n’a appris qu’une seule chose, être un instrument pour des jeux qui lui sont étrangers » 

p 160


« Je ne suis plus qu’une boule de rage qui s’épuise à faire comme si tout allait bien, à donner le change. Cette colère, j’essaie de la taire, je la cache en la redirigeant contre moi. La coupable c’est moi » p 158


«  Et quand je ne peux plus masquer toute cette détresse, je sombre dans des états dépressifs en ne souhaitant plus qu’une chose : disparaître de la surface de la terre » p 158


La « poupée cassée » du Monsieur lutte courageusement pour rester en vie. Elle se fait aider par un psychanalyste, erre, se perd, se retrouve, se reperd à nouveau.. avant de pouvoir dire :


« Il m’en aura fallu du temps pour retrouver chemin de mon propre désir » p 180


« Il m’en aura fallu du temps, des années, pour enfin rencontrer un homme avec qui je me sente pleinement en confiance » p 180



Vanessa Springora libère la parole sur une époque où le statut d’artiste conférait, semblait-t-il une « bonne » excuse pour être au dessus des lois et de la protection de l’enfance. 


Vanessa Springora se libère encore un peu plus de l’emprise.

« Ecrire c’est redevenir le sujet de ma propre histoire. » p 202


Cet ouvrage favorise la résilience. La confrontation au traumatisme et à la blessure viennent étayer la créativité de l’autrice, qui ici, comme sujet résilient, démontre son précieux potentiel qui l’aide à poursuivre sa trajectoire de vie dans de bonnes conditions. 


Et, elle trace avec ses mots un chemin pour d’autres mots, et d'autres résiliences.

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