mercredi 22 novembre 2017

Une perte pesante

Avec l'autorisation de la famille, je vais faire le récit ici d'un accompagnement thérapeutique qui a soulagé rapidement le jeune patient, et lui a permis de réinvestir pleinement sa vie. Les noms sont bien sûr transformés afin de conserver la confidentialité nécessaire.

Madame M m'appelle pour son fils Joseph de 11 ans. Elle s'inquiète car il a perdu sa joie de vivre, et elle perçoit qu' "il ne va pas bien". Cette maman est consciente de l'intérêt que peut apporter une aide psychologique, et me propose d'amener son fils en consultation. Je lui explique que dans un premier temps nous allons nous voir tous les trois. En effet d'une part Joseph est jeune, et il peut lui être difficile de se retrouver seul face à un adulte qu'il ne connait pas. D'autre part, je ne sais pas encore si le symptôme (le mal être du garçon) est né d'un problème personnel (auquel cas il pourrait être intéressant de le voir seul), ou d'un problème relationnel avec sa mère ou dans la famille. 

Je découvre donc bientôt un jeune garçon et sa maman. Joseph, réconforté par la présence sécurisante de sa mère, est très présent dans la séance et répond volontiers à mes questions. Il sait parler de son sentiment de tristesse, et situe l'origine de cette difficulté au départ du compagnon de sa mère. Il m'explique ainsi que ses parents ont divorcé, qu'il a vécu avec ce nouveau compagnon à la maison pendant plusieurs années. Puis, Madame M. et ce Monsieur se sont séparés. Son "beau-père" est parti sans lui dire aurevoir, quand il était en vacances chez son père. L'évocation de ses souvenirs font monter l'émotion, et les pleurs. Madame me paraît attentive aux émotions de son fils, elle exprime aussi des sentiments en adéquation avec le récit, et semble avoir fait pour sa part le deuil de sa relation amoureuse et de la rudesse de ce départ.

Je ressens de l'empathie pour ce sentiment d'abandon exprimé par Joseph et je comprends que cela soit très difficile lui. Néanmoins, Joseph a déjà pu en parler avec sa maman, et échanger avec elle sur ses ressentis. Mais la tristesse ne part pas. La résilience ne se fait pas. Mon expérience de thérapeute, et mon intuition m'amènent alors à questionner l'histoire de la famille. Cette perte est difficile, mais s'il ne s'agissait que de l'éprouvé de cette disparition, Joseph, avec la bonne communication avec sa mère, basée sur un possible échange émotionnel, pourrait la dépasser, en faire le deuil. S'il ne le peut pas, c'est probablement que ça se joue ailleurs. "Aux autres étages de la fusée" comme disait un de mes formateurs, thérapeute italien. La famille est une fusée à étages, et je n'ai en face de moi qu'un seul de ces étages, or il est temps d'évoquer les générations passées.

J'invite alors Joseph à co-construire avec moi le génogramme de la famille de sa maman. C'est un dessin qui représente la famille. Joseph montre de l'intérêt pour l'activité, et j'observe qu'il est content d'être debout et actif devant mon tableau.

En donnant cette place à Joseph, je lui signifie que je le reconnais comme sujet et comme acteur de sa propre vie, et que la solution n'est pas "entre mes mains", mais entre les siennes, et celles de la famille. Dans notre jargon, je me mets en "position basse", c'est à dire je ne suis pas celle qui sait (position haute) face à la famille qui ne sait pas. 

Avec le récit de Madame, nous allons découvrir que le père de celle-ci a perdu précocement son épouse (Madame avait quelques années à peine). Il ne s'est jamais remis de cette perte. Il a ainsi continué à rechercher dans la vie la trace de la défunte, en épousant notamment successivement des femmes lui ressemblant physiquement( qu'il quittait, pour une nouvelle relation). Le grand-père de Joseph est décédé il y a peu, et l'évocation de ce décès fait pleurer encore Joseph. Mais pour Madame M. il y a une consolation : celle de se dire qu'il a enfin rejoint sa femme chérie. 

Je comprends alors que la difficulté à accepter la perte du beau-père, et que ce "non adieu" vient en résonance chez Joseph de l'histoire passée de son grand-père. La famille lui a légué de nombreuses ressources (celle notamment d'être Joseph le bâtisseur !) et lui a transmis aussi ce deuil non fait, cette perte pesante. Je nomme cela à Joseph, comparant son héritage familial à un sac à dos, où il y aurait plein de bonnes choses pour la route, mais aussi des choses un peu lourdes et encombrantes. 

Dans le passé du grand-père et de la grand-mère il y a encore d'autres traces de pertes difficiles, et probablement non élaborées, non dépassées. Nous les évoquons rapidement. 




La suite de l'entretien consiste à un échange thérapeutique avec Joseph sur ce sentiment douloureux de perte, sur la question du sens de la  vie (où l'on vit mais où l'on meurt aussi) et sur la nécessaire adaptation à cela pour pouvoir profiter du mieux possible du moment présent. Joseph accède à la conscience qu'une part de son fardeau ne lui appartenait pas et que son rôle aujourd'hui est de vivre pleinement, même s'il n'est pas possible de garder autour de soi tous les êtres chéris vivants. 

Madame M. me témoignera qu'à l'issue de cet entretien Joseph avait retrouvé sa joie de vivre et son entrain. Nous nous sommes revus une fois pour clore le travail entrepris. Joseph était dans une énergie très différente, joyeux, et pétillant. Nous avons abordé brièvement la famille d'origine de son père, sur laquelle peu d'informations sont connues. Je transmets alors à Joseph que c'est un continent à explorer, peut-être un jour, avec son père, en fonction des besoins ressentis.

Nous avons terminé la séance avec la co-construction entre la mère et le fils d'un blason familial, qui permet de nommer les ressources de la famille, passées et présentes, et d'envisager avec plus de sérénité de se mettre en chemin pour le futur.


La méthode du blason est décrite dans ce livre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire